Le péché et ses conséquences
Il est écrit: Exerce sur les Midianites la vengeance des enfants d'Israël; après quoi, tu seras réuni à tes pères. Et Moïse parla ainsi au peuple: Qu'un certain nombre d'entre vous s'apprêtent à combattre: ils marcheront contre Midian, pour exercer sur lui la vindicte de l'Eternel (Nombres 31:2-3).
Ces versets posent un certain nombre de questions:
1) Pourquoi, pour se venger des Midianites, Dieu a-t-Il choisi précisément la guerre? Il aurait pu les exterminer en faisant abattre un fléau sur eux, un tremblement de terre ou la destruction totale de leur ville, comme Sodome et 'Amorah, comme il est écrit: L'Eternel fit pleuvoir sur Sodome et sur 'Amorah du soufre et du feu venant de l'Eternel, venant des cieux (Genèse 19:24).
2) Si l'Eternel a choisi le moyen de la guerre, pourquoi seraient-ce les enfants d'Israël qui mèneraient cette guerre contre les Midianites? Il aurait pu envoyer contre eux tout autre nation dans ce but. En fait, les enfants d'Israël ont reçu l'ordre de se venger d'un ennemi qui les a livré à la débauche et empêché de s'engager dans l'étude de la Torah. Mais, comme l'a ordonné Moché, il s'agissait d'exercer sur les Midianites la vengeance de l'Eternel. Dans ce cas, pourquoi le Saint, béni soit-Il, Lui même, ne leur a-t-Il livré combat Lui-même?
3) Quel rapport peut-on établir entre la mort de Moché et la guerre menée contre Midian? D'autre part, l'Eternel a expressément expliqué à Moché qu'à l'issue des hostilités, il devrait rejoindre ses pères. Pourquoi alors, après avoir combattu Midian, Moché a-t-il imploré le Créateur de l'univers d'annuler la sentence prononcée contre lui, comme il est écrit: J'implorai l'Eternel à cette époque (Deutéronome 3:23).
C'est que, dans ces versets, notre sainte Torah veut nous montrer comment nous diriger sur la voie qui conduit à la maison de Dieu. Si on se détourne un tant soit peu de ces fondations solides, on risque de porter atteinte à toute la communauté d'Israël. Et si on succombe à un péché grave, même si on fait une pénitence complète et sincère, la souillure de ce péché s'efface très difficilement de l'esprit et de la pensée, à moins de s'efforcer de livrer un combat constant au mauvais penchant qui nous incite à revenir sur ce même péché. Comme nous l'avons vu, le Zohar (I, 73b) enseigne à cet effet que le péché laisse un immense impact dans les mondes supérieurs et ne s'efface qu'au moyen d'une téchouvah complète et sincère.
Rappelons-nous à cet effet le cas du Roi Ménaché, qui a péché en faisant que les enfants d'Israël adorent les idoles. Ménaché s'est repenti et le Talmud (Sanhédrine 103a) enseigne que le Saint, béni soit-Il, a dû creuser un tunnel dans le Ciel pour accepter son repentir. Il est aussi écrit à cet effet dans les Chroniques (II, 33:15): Il fit disparaître de la maison de l'Eternel les dieux étrangers et l'idole... et il les jeta hors de la ville... Mais comme il ne les a pas cassés et anéantis, son fils s'en est servi. Il est écrit à cet effet quelques versets plus bas: Amon sacrifia à toute les images taillées qu'avait faites Ménaché son père et il les servit (ibid. 22). Rachi (loc. cit.) explique qu'il les a prises d'où son père les avait jetées.
On voit de là combien la faute peut avoir une influence, même après qu'on se soit repenti. Il est plus facile pour celui qui a goûté le péché d'y revenir, même si pour l'heure sa conduite est intègre. La faute ne l'effraie pas, comme c'est le cas pour quelqu'un qui n'en a jamais commise. Il doit donc livrer une bataille constante au mauvais penchant et s'efforcer au maximum de s'en éloigner. Nos Sages enseignent à cet effet: Sanctifie-toi de ce qui t'est permis et tu n'en viendras pas ainsi à ce qui est interdit (Yébamoth 20a; Sifri, Deutéronome 14:21).
Le Saint, béni soit-Il, a ordonné à Moché d'exercer précisément la vengeance des enfants d'Israël: ce sont eux qui doivent livrer bataille aux Midianites qui les ont conduits au péché, comme leur a expliqué Moché: Ne sont-ce pas elles qui, à l'instigation de Bil'am, ont porté les enfants d'Israël à trahir l'Eternel pour Ba'al Pé'or (Nombres 31:16). Cette guerre menée contre la débauche conseillée par Bil'am doit être permanente et ouverte, pour que les enfants d'Israël ne reviennent jamais sur ce péché.
Moché a toutefois ordonné aux enfants d'Israël d'exécuter la vengeance de l'Eternel. Cette guerre doit certes être celle des enfants d'Israël, mais celui qui vient se purifier, se fait aider du Ciel (Chabath 104a; Pessikta Zoutretha, Bo 10:11). Quand on livre le combat au mauvais penchant qui incite au péché, ce combat revêt l'aspect de vengeance de l'Eternel, car lorsqu'on transgresse la volonté divine, on souille la Providence Divine, comme l'enseigne le Zohar (III, 255b, I, 23b, 63a). Quand on s'en repent, on ne rectifie au début que la source de son corps et de son âme, mais pas l'impact laissé par le péché dans les mondes supérieurs. Ce n'est que lorsqu'on intensifie sa lutte contre le mauvais penchant et s'abstient de refaire la même faute, que cet impact disparaît complètement (Zohar, III, 16b). Le Rambam enseigne à cet effet: Qu'appelle-t-on repentir total? C'est le cas de celui qui a péché et pour lequel l'occasion s'est présentée de commettre le même péché et il s'en est abstenu (Hilkhoth Téchouvah, 2:1).
En se vengeant du mauvais penchant, on exerce la vengeance de l'Eternel et on Le sanctifie. Et comme le Saint, béni soit-Il, nous assiste, on peut dire que Lui aussi se venge du mauvais penchant et la Providence Divine ne fait que se sanctifier. C'est pourquoi Moché a changé la formule divine et lié la vengeance de Dieu à celle des enfants d'Israël. Comme nous l'avons vu, celui qui lutte contre Israël, c'est comme s'il luttait contre Dieu (cf. Rachi, ibid. 31:3). Par conséquent, quand les enfants d'Israël commettent une faute, ils souillent la Chékhinah.
Comme Moché vit que Dieu fit dépendre sa mort de cette guerre, il a compris que c'était un signe envoyé par Dieu et qu'il fallait se hâter d'agir. C'est pourquoi il a tenu à ce que les enfants d'Israël prennent conscience du fait que leur péché entache la Providence Divine: il leur fallait donc agir au plus tôt pour qu'ils ne tombent pas encore dans cette épreuve, à Dieu ne plaise.
L'Eternel a rendu un grand service à Moché en faisant dépendre sa mort de la guerre que les enfants d'Israël devaient mener aux Midianites. Comme nous l'avons vu, il était certes un bon avocat pour Israël, mais il craignait qu'on l'accuse de refuser de livrer combat aux Midianites, pays dans lequel il a vécu et grandi et où il a épousé la fille de Yithro, prêtre de Midian (cf. Exode 3:1). Mais quand le Saint, béni soit-Il, a fait dépendre sa mort de la guerre contre Midian, les enfants d'Israël n'ont fait que le louer. Commentant à cet effet le verset: On recruta parmi les familles d'Israël, mille hommes par tribu (Nombres 31:5). Rachi explique que Moché les a obligés à sortir en guerre malgré eux, parce qu'ils ne voulaient pas que Moché meurt. Nous voyons d'ici la grandeur des pasteurs d'Israël, combien ils sont aimés d'eux... Le Talmud (Bérakhoth 32a) enseigne à cet effet que le Saint, béni soit-Il, a voulu que les enfants d'Israël n'oublient jamais Moché et sa Torah, car il leur a montré un dévouement extraordinaire vers la fin de sa vie, en dépit du fait qu'on pouvait dire que les Midianites étaient ses proches.
Comme nous l'avons vu, Moché a aussi montré aux enfants d'Israël que maîtriser le mauvais penchant c'est exercer la vengeance divine et qu'ils doivent s'éloigner des épreuves et mener un combat constant à toute déficience qui a pu les souiller dans le passé...
Une question reste toutefois posée: après que le Saint, béni soit-Il, eût expliqué expressément à Moché qu'il devait rejoindre ses pères, Moché L'a imploré de le laisser entrer en Terre d'Israël, comme il est écrit: J'implorais l'Eternel à cette époque (Deutéronome 3:23). Comme nous l'avons vu, la sentence céleste avait déjà été prononcée. A quoi bon prier?
Là aussi, nous voyons la grandeur de Moché, qui n'a commencé à s'occuper de lui-même qu'après avoir veillé aux besoins du Peuple d'Israël. Il savait bien qu'il ne pouvait pas en principe annuler la sentence divine, mais il nous a appris qu'il ne faut jamais désespérer: la miséricorde de Dieu est abondante. Nos Sages enseignent à cet effet que même si une épée et placée sur la gorge de quelqu'un, il ne doit pas s'abstenir d'implorer la miséricorde divine (Sifri, Nombres 3:26).
Quand Moché a reçu l'ordre divin d'exercer sur les Midianites la vengeance des enfants d'Israël, il a pensé à quelque chose de terrible: les enfants d'Israël se sont certes repentis du péché commis avec les femmes de Moav; tous ceux qui ont souillé le signe de l'Alliance sainte sont morts... (cf. Nombres 25:9), mais Dieu est peut-être encore irrité contre les Midianites et veut que les enfants d'Israël se vengent d'eux: Il garde ainsi peut-être rancune même aux enfants d'Israël à cause du péché qu'ils ont commis. C'est pourquoi Il leur a ordonné d'exercer la vengeance sur les Midianites. Car s'il n'en était pas ainsi, Dieu aurait pu exercer cette vengeance Lui-même par toutes sortes d'autres moyens.
Ainsi, la faute avec les Midianites continue certainement à porter des accusations contre Israël et les nations sont encore témoins de la profanation du Nom de Dieu engendrée par les péchés des enfants d'Israël l'élu de Dieu (cf. Isaïe 44:1). Ce n'est donc que par cette vengeance que le Nom de Dieu, qui a été profané aux yeux des nations, sera rectifié. Comme Moché plaidait toujours la cause des enfants d'Israël, vertu qu'il a appris du Saint, béni soit-Il (Tan'houma, Ki Tissa 32), il ne pouvait pas supporter qu'on porte des accusations contre le Peuple d'Israël et que le nom de Dieu soit profané, il a immédiatement livré combat aux Midianites, sans s'occuper le moins du monde de ses problèmes personnels. Comme d'habitude, il était toujours prêt à se dévouer pour lui, jusqu'à demander à Dieu que son nom soit effacé de Ton livre. Quand il s'agit de l'honneur d'Israël, et à plus forte raison de la gloire de l'Eternel, l'heure n'est plus à la réflexion, mais à l'action.
Le Saint, béni soit-Il, fit alors comprendre à Moché que l'heure était venue pour lui de rejoindre ses pères comme le commun des mortels... après avoir naturellement vengé les accusations portées sur les enfants d'Israël. La vengeance de l'Eternel contribue ainsi à corriger la profanation du Nom de l'Eternel, et il est clair que lorsque ce Nom de l'Eternel est rectifié, l'honneur d'Israël s'accroît à Ses yeux.
Comme le Saint, béni soit-Il, veille à l'honneur de Son peuple, Il a ordonné à Moché d'exercer sur les Midianites la vengeance des enfants d'Israël, car ce sont eux qui ont irrité l'Eternel et engendré la mort de vingt-quatre mille Juifs. Ce sont donc eux qui doivent exercer cette vengeance. Toutefois, craignant que les enfants d'Israël puissent passer cela et ne pas faire cas de leur honneur, Il leur a fait comprendre qu'il s'agit ici de la vengeance de l'Eternel et de rectifier la profanation du Nom de Dieu.
Comme nous l'avons vu dans notre leçon, quand on commet un péché, et plus particulièrement quand on profane le nom de Dieu, cette tache demeure même après qu'on se repent. Il convient par conséquent de montrer au monde entier comment on sanctifie Son nom en exerçant la vengeance qui Lui est due.
Il est écrit: Qu'un certain nombre d'entre vous s'apprêtent à combattre. Ils seront contre Midian (Nombres 31:3). Pourquoi le verset utilise-t-il le verbe seront. Il aurait dû mentionner: Ils livreront bataille à Midian, comme il est écrit: Va livrer bataille à Amalek (Exode 17:9). C'est qu'il s'agit ici pour les enfants d'Israël de reprendre ce que les Midianites leur ont pris, aspect de Il a dévoré une fortune, et il faut qu'il la rejette (Job 19:15) de libérer les étincelles de sainteté. Ce n'est qu'ainsi que leur téchouvah accédera à la plénitude et que le Nom de Dieu sera sanctifié en public. Commentant à cet effet le verset: Quand tu iras en guerre contre les ennemis, que l'Eternel, ton Dieu, les livrera en ton pouvoir, et que tu leur feras des prisonniers... (Deutéronome 21:10), les Sages expliquent qu'il s'agit de la guerre qu'on mène contre le mauvais penchant et que tu leur feras des prisonniers signifie: tu reprendras d'eux les commandements divins qu'ils ont ravis de toi, tu transformeras ainsi les péchés en mérites (cf. Bava Métsia' 33b).
Le Or Ha'Haïm écrit à cet effet: Les gens de vérité enseignent que la sainteté correspond essentiellement à l'ascension et l'aspect d'écorce correspond au secret de la descente. Quand l'homme pèche, le côté du mal se colle à lui: il laisse son impact et l'humilie, comme celui qui pèche et baisse de honte la tête comme le jonc. C'est la signification de: Ils seront contre Midian. Contrairement aux Midianites, les enfants d'Israël ne seront pas imprégnés par l'impureté, mais par le bien qui vient du Ciel (Nombres 31:3).
C'est essentiellement quand on élimine le mauvais penchant qu'on exerce la meilleure vengeance: on se sent alors revivifié, on reprend de nouvelles forces: c'est ce qu'on appelle vraiment la vengeance de l'Eternel. Grâce à elle, la gloire de Dieu ne fait que s'accroître, ce qui aide le Juif à améliorer son service divin. Sachons toutefois que ce n'est pas là la fin des hostilités. C'est un combat que nous devons livrer toute notre vie. C'est la signification de l'ordre divin donné à Moché: après quoi, tu seras réuni à tes pères: tant que tu te trouves sur cette terre tu dois continuer à mener cette guerre.
Même si l'homme s'est complètement repenti sur ses péchés, même s'il a corrigé la source de son âme et de son corps, il faut qu'il sache que le Nom de Dieu reste encore profané à cause de ses péchés. Pour le rectifier et exercer la vengeance de l'Eternel, il faut livrer combat contre le mauvais penchant jusqu'à la fin de ses jours. Le Talmud (Yoma 86a) enseigne à cet effet que ni le repentir, ni le jour de Kippour, ni les souffrances ne peuvent expier la profanation du Nom de Dieu (mais seulement ils empêchent l'exécution du châtiment), c'est-à-dire tant qu'on est en vie, on ne s'en fait pas pardonner: seule la mort expie ce péché extrêmement grave. C'est en fin de compte la signification de la locution: après quoi, tu seras réuni à tes pères, même si tu as lutté toute ta vie pour le corriger.