Ya’akov et Essav, la sainteté face à l’impureté

« Rivka entendit ce que Yits’hak disait à Essav son fils... [et elle dit à Ya’akov] Va au menu bétail, prends-moi deux beaux chevreaux... » (Béréchith 27 :9).

Avant d’expliquer la seconde partie de la vie de Ya’akov et d’Essav, présentons quelques-unes des questions soulevées par les Midrachim :

1. Les Sages disent (Tan’houma Toledoth 8) : « La vue d’Yits’hak s’obscurcit à cause de la fumée de l’encens que les femmes d’Essav brûlaient dans leurs rites idolâtres », pourtant, il désirait bénir son fils Essav ! Le mérite-t-il ? Et pourquoi choisit-il de le bénir la nuit de Pessa’h (Pirkey D’Rabbi Eliézer 32), une nuit prédestinée aux descendants de Ya’akov ?

2. Pourquoi Rivka envoie-t-elle Ya’akov prendre deux beaux chevreaux ? Bien que les Sages expliquent (Rachi ad. loc., Pirkey D’Rabbi Eliézer 32) que c’était Pessa’h et que l’un d’eux était destiné au sacrifice, Yits’hak n’avait pas demandé à Essav de chevreuil pour le sacrifice. Pourquoi Rivka prit-elle l’initiative d’un tel changement ?

3. Comment se fait-il qu’Essav n’ait pas hésité à apporter du gibier volé ? Il pensait que s’il ne trouvait rien à la chasse, il pourrait apporter du bétail volé, alors qu’Yits’hak lui avait explicitement demandé de chasser et de ne pas voler (Béréchith Rabah 65 :8 ; Rachi ad. loc.). Comment Essav osa-t-il transgresser un ordre de son vénérable père ?

4. Nous devons aussi comprendre l’intention profonde de Rivka. Si Yits’hak préfère bénir son fils Essav, pourquoi Rivka intervient-elle pour que Ya’akov reçoive ces bénédictions ? Comment a-t-elle pu prendre sur elle une telle responsabilité, alors qu’Essav avait la possibilité de se repentir ? Et comment n’a-t-elle pas craint qu’Yits’hak s’irrite contre Ya’akov et le maudisse, alors qu’elle a pris sur elle la malédiction (ibid. v. 13) ?

5. Comment se fait-il qu’Yits’hak n’ait pas prêté plus attention à la voix de Ya’akov ? Il est vrai qu’il dit « la voix est la voix de Ya’akov » (ibid. v. 22), mais il a senti que les mains étaient celles d’Essav. N’aurait-il pas dû vérifier plus attentivement l’identité de la personne qui se trouvait devant lui et proclamait « je suis Essav ton fils » (verset 19) avant de le bénir ? S’il savait qu’il bénissait Ya’akov, pourquoi a-t-il eu tellement peur lorsque Essav est entré ? Il lui dit : « ton frère s’est substitué à toi » (verset 35), et pourtant il a confirmé ses bénédictions à Ya’akov !

Yits’hak aimait Essav, et il désirait lui transmettre les bénédictions héritées d’Avraham (Béréchith 61 :6) parce qu’il espérait concilier les tendances contradictoires d’Essav. D’une part il était un « homme des champs » qui sortait de chez lui pour ramener les gens vers D. comme le faisait son grand-père Avraham, et en cela il était supérieur à son frère Ya’akov qui ne sortait pas de la maison d’étude, mais par ailleurs il avait des défauts personnels et d’une telle personne il est dit : « Il parle bien mais il n’agit pas conformément à ses paroles ».

Yits’hak décida qu’il valait mieux partager les bénédictions données par D. à Avraham et lui-même entre Essav et Ya’akov afin que tous deux en bénéficient, l’un enseignant la Torah au peuple et l’autre l’enseignant dans les maisons d’étude.

D’autant plus, pensait Yits’hak, que s’ils sont bénis des bénédictions de la nuit de Pessa’h, cela aiderait Essav à perdre ses défauts. En effet, si Essav avait surmonté cette épreuve et avoué à son père qu’il avait renoncé au droit d’aînesse en faveur de Ya’akov, cet aveu sincère lui aurait permis d’éliminer toutes les impuretés, de s’attacher à la vérité, et de s’élever au plus haut degré.

En demandant à Essav de lui apporter le produit de sa chasse et non du bétail volé, Yits’hak voulait lui faire éliminer sa tendance au vol et ancrer en lui la qualité de ces hommes dont les Sages disent (Midrach Péliah 132) : « Les hommes vertueux se nourrissent de choses volées et disent : cela aussi est pour le bien » (le mot guézel, vol, est formé des premières lettres de l’expression gam zo létova,  cela aussi est pour le bien), c’est-à-dire qu’ils donnent une tournure positive aux événements. Yits’hak aspirait à ce but.

Étant donné que ce jour-là était la veille de Pessa’h, Yits’hak ne lui demanda pas de lui apporter n’importe quel plat, mais des « plats à son goût » (en Hébreu le mot mataamim est un pluriel), c’est-à-dire deux bêtes, une pour le sacrifice de Pessa’h et une autre pour le repas. Avant la construction du Sanctuaire, les sacrifices étaient effectués par les premiers-nés (Bech’orot 4b ; Béréchith Rabah  63 :18), et ce plat serait comme un sacrifice présenté par Essav. La preuve en est que Rivka ordonna à Ya’akov : « Va au menu bétail, prends-moi deux beaux chevreaux - pour le sacrifice de Pessa’h » (Pirkey D’Rabbi Eliézer 32), car telle était l’intention d’Yits’hak.

Mais pour avoir vendu son droit d’aînesse à Ya’akov, il était interdit à Essav d’offrir des sacrifices (Béréchith Rabah 63 :18). C’est la raison pour laquelle il s’est dit que dans le cas où il ne trouverait pas de gibier à la chasse, il apporterait du gibier volé (ibid. 65 :10). Il pensait pouvoir tromper son père et lui faire croire qu’il apportait un animal pour le sacrifice de Pessa’h mais Rivka découvrit le stratagème. Sachant qu’il était interdit à Essav d’offrir ce sacrifice, elle savait qu’il ne méritait pas les bénédictions d’Avraham et d’Yits’hak. Et elle ordonna donc immédiatement à Ya’akov de lui apporter l’animal du sacrifice de Pessa’h et de le sacrifier. Elle ne voulait pas qu’Yits’hak faute par inadvertance conformément au commandement « Ne place pas d’obstacle devant un aveugle » (Vayikra 19 :16 et 14). Yits’hak n’avait que faire de plats délicieux et il ne désirait ni les plaisirs de ce monde, ni des nourritures volées ou impropres. Sa seule intention était d’offrir le sacrifice de Pessa’h, comme il est dit « à mon goût » (Béréchith 27 :4). Si D. agrée avec bienveillance le sacrifice, Yits’hak en sera heureux. Etant donné qu’il est interdit à Essav d’offrir le sacrifice, Rivka ordonna à son fils Ya’akov de le faire.

Il est facile de comprendre l’intention d’Yits’hak, et parallèlement, celle de Rivka. Yits’hak désirait qu’Essav profitât des bénédictions de la nuit de Pessa’h destinées à Ya’akov et à ses descendants, pour faire régner la paix et la bonne entente entre eux, chacun partageant la peine de l’autre. Beaucoup de maux auraient été évités s’ils avaient été liés par des liens d’amour et non de haine. Mais Rivka savait qu’Essav ne méritait pas d’offrir des sacrifices et elle ordonna à Ya’akov d’apporter à son père l’animal du sacrifice de Pessa’h.

Des pensées bien différentes remplissaient la tête d’Essav. Il ne voulait pas participer au destin de Ya’akov. Il n’avait aucun désir de partager avec lui ni la Torah ni son mode de vie, il ne voulait pas non plus du droit d’aînesse qu’il avait vendu, et il ne croyait pas dans les bénédictions car il ne pensait pas que les Juifs sortiraient un jour de l’exil d’Egypte. Il voulait une bénédiction qui ne s’appliquât qu’à lui, sans lien avec le sacrifice de Pessa’h et sans référence à la sortie d’Egypte.

Pour toutes ces raisons, il n’hésita pas à tromper son père en lui apportant une nourriture volée. L’impureté d’Essav (Zohar III, 163b) aurait atteint son père, s’il en avait mangé, et Essav aurait reçu la bénédiction dans l’impureté et non dans la sainteté, ce qui lui aurait permis de se l’approprier sans obligation de la partager. Il est possible que Yits’hak à Ya’akov et à ses descendants, entachées d’impureté, les auraient pervertis et empêchés de sortir d’Egypte.

Telle était la méchanceté foncière d’Essav. Il est vrai qu’il honorait profondément son père (Chemoth Rabah 46 :3 ; Devarim Rabah 1 :14), mais parce qu’il pensait nourrir son père de nourriture volée et impropre, provenant d’un sacrifice mensonger, toute sa personnalité en fut corrompue pour toujours. Il est dit (Yonathan ben Ouziel, Béréchith 27 :31) qu’ »Essav ne trouva pas d’animal pur, mais il rencontra un chien qu’il tua et apporta à son père ». Comme on le sait, le chien est le symbole même de l’impureté (Zohar III, 197a ; Tikouney Zohar 21-62b). Essav désirait que l’impureté profite du pouvoir d’Yits’hak dont la qualité est la Puissance (Zohar III, 302a) laquelle s’oppose toujours au Mal et à l’Impureté. S’il avait réussi, l’impureté aurait pris le dessus et la Puissance aurait été soumise aux forces impures.

Nous comprenons à présent pourquoi Rivka prit sur elle une telle responsabilité au risque de faire maudire Ya’akov si Yits’hak devait se mettre en colère. Il nous reste toutefois à expliquer pourquoi Yits’hak n’a pas été plus attentif et n’a pas vérifié l’identité de celui qui se tenait devant lui. Il avait bien remarqué quelque chose d’inhabituel puisqu’il dit « la voix est la voix de Ya’akov (ibid. 27 :22). A propos du verset « je suis Essav ton aîné », il est dit (ibid. Rachi v. 19 ; Zohar I, 167b) : « C’est moi qui apporte le plat, et Essav est ton aîné ». Comment expliquer qu’Yits’hak n’ait pas découvert que c’était Ya’akov qui se tenait devant lui ? Si l’on voulait dire qu’Yits’hak désirait effectivement bénir Ya’akov, pourquoi est-il dit qu’il eut très peur lorsque Essav entra (verset 33) ? S’il ne réalisa qu’à ce moment-là qu’il avait béni Ya’akov, pourquoi dit-il à Essav (verset 35) : « ton frère s’est substitué à toi », ce qui devait enflammer la haine d’Essav envers Ya’akov ? N’aurait-il pas été préférable de ne pas mentionner la ruse de Ya’akov et de bénir Essav d’une bénédiction quelconque, afin de tempérer sa haine ?

En considérant la suite des événements nous découvrons une chose étonnante. Tout de suite après qu’Yits’hak eut ordonné « fais-moi un plat à mon goût » (verset 4), il est dit (verset 5) : « Et Essav alla aux champs pour chasser du gibier et le rapporter », c’est-à-dire qu’il n’a pas tardé, il est parti tout de suite. Ne trouvant rien à la chasse, il a volé un animal et l’a apporté à son père. Dans ce même laps de temps, Ya’akov a pu de son côté faire les préparatifs en toute pureté et en toute sainteté, et apprêter des plats avec les meilleures intentions, sachant qu’il ferait plaisir à son père et recevrait les bénédictions d’Avraham. Il ne fait aucun doute qu’Yits’hak, conformément à la volonté divine, avait l’intention d’adresser ses bénédictions uniquement à l’aîné véritable, celui qui va dans le droit chemin.

C’est pourquoi lorsque Ya’akov se présenta, Yits’hak lui demanda « qui es-tu mon fils ? (verset 18). Autrement dit : comment se fait-il que tu sois revenu si vite ? ». A cela, Ya’akov répondit : « Je suis Essav ton aîné », c’est-à-dire : Je suis Ya’akov, et si tu crois qu’Essav est ton aîné, il n’en est rien ! Il m’a vendu son droit d’aînesse et dorénavant je suis moi ton aîné de droit, maintenant il lui est interdit d’offrir les sacrifices. Essav lui, ne pense qu’à te tromper et à t’imprégner de son impureté en t’apportant du gibier volé...

Etant donné que celui qui reçoit la bénédiction a besoin de s’y préparer autant que celui qui la donne, Yits’hak demande à nouveau (verset 20) : « Qu’est ceci ? tu as été prompt à chasser mon fils ! » c’est-à-dire : comment as-tu pu venir si vite, alors qu’il faut beaucoup de préparation avant de mériter l’abondance des bénédictions ? Ya’akov répondit : « C’est que l’Eternel ton D. m’a donné bonne chance », c’est-à-dire : D. m’est venu en aide à la chasse et donc j’ai consacré tout le temps qui me restait à me préparer à recevoir l’abondance des bénédictions, j’ai bénéficié de l’aide du Ciel pour me préparer à les recevoir en toute sainteté et en toute pureté.

Yits’hak comprit alors que « la voix est la voix de Ya’akov », toujours prompt à obéir à la volonté divine, d’autant plus que « l’odeur du Jardin d’Eden l’accompagnait » (Béréchith Rabah 65 :22 ; Rachi, verset 27), une odeur qu’Yits’hak avait déjà senti quatre-vingt-six ans auparavant, au moment où il fut présenté sur l’autel, lorsque « son âme le quitta et refusa de retourner sur terre jusqu’à ce qu’elle fût remplacée par une autre » (Zohar I, 60a ; Tossefta) et elle-même est restée au Jardin d’Eden (voir à ce sujet les écrits du Ari zal). La réponse de Ya’akov remplit Yits’hak de joie car elle montrait qu’il s’était préparé correctement à recevoir l’abondance des bénédictions. Lorsque Ya’akov dit : « Je suis Essav ton aîné » il signifiait : il n’y a que toi qui pense qu’il est l’aîné, mais en vérité je suis moi l’aîné, et effectivement c’est moi qui ai sacrifié pour toi le chevreau de Pessa’h. Si je n’étais pas l’aîné, je n’aurais pas pu offrir ce sacrifice. L’odeur du Jardin d’Eden qui l’accompagnait, confirmait la véracité de ses propos.

Et alors Yits’hak lui dit (verset 21) : « Approche que je te tâte, mon fils » autrement dit : approche-toi de moi que je t’embrasse, de même que les adeptes et les disciples embrassent les hommes vertueux afin d’exprimer leur attachement et leur amour, dans le sens où il est dit (Kohéleth Rabah 3 :7) : « Si tu rencontres un groupe d’hommes vertueux, lève-toi et va les serrer, les embrasser, les étreindre », car « un sage est semblable à un Séfer Torah » (voir Makot 22b). Yits’hak voulait embrasser Ya’akov pour savoir s’il réussirait effectivement à soumettre la méchanceté d’Essav, à le dominer et à être vraiment supérieur à lui.

Effectivement après l’avoir tâté, il dit (verset 22) : « La voix est la voix de Ya’akov et les mains sont les mains d’Essav », c’est-à-dire : Je vois clairement que tu tiens Essav sous ton emprise, et ce n’est que grâce à toi que j’ai mérité de ne pas fauter en mangeant une nourriture volée. Il ne mérite ni le droit d’aînesse ni les bénédictions. C’est ce qu’Yits’hak dit à Essav (verset 37) : « Je l’ai institué au-dessus de toi, j’ai fait de tous tes frères ses serviteurs », car il t’a subjugué, toi, ta puissance et ta descendance, sous son pouvoir, grâce à sa Torah, son intégrité et ses vertus.

Essav, prototype du mal

La section des bénédictions ne se termine pas là. Comme Yits’hak achève de bénir Ya’akov, Essav vient (verset 30) avec le plat qu’il avait préparé précipitamment. Il y avait une différence évidente entre le plat de Ya’akov et celui d’Essav. Ya’akov avait préparé des mets avec de bonnes intentions et en toute pureté pour que « les actions d’ici-bas éveillent les bienfaits d’en-Haut » (Zohar I, 88a), tandis qu’Essav prépara les siens avec de mauvaises intentions, sans invoquer le Nom de D.  Lorsque Yits’hak entendit Essav son fils dire (verset 32) : « Je suis ton fils aîné Essav », « il fut saisi d’une frayeur extrême » (verset 33) et les Sages disent (Béréchith Rabah 67 :2 ; Tan’houma 11) qu’ »Yits’hak vit l’enfer ouvert sous ses pieds ».

Pourquoi, en fait, Yits’hak eut-il si peur ? L’enfer n’était-il pas ouvert sous les pieds d’Essav, et non sous les siens ? C’est qu’Yits’hak eut peur en comprenant qu’Essav voulait l’entraîner à une transgression en lui faisant manger des choses impures et impropres, à lui qui avait été une offrande parfaite sur l’autel (Béréchith Rabah 64 :3). Il fut saisi d’une frayeur extrême en se rendant compte qu’il était impossible de faire confiance à Essav et qu’au contraire, il fallait se tenir éloigné de lui.

Et Yits’hak demande à Essav : Comment peux-tu m’apporter le sacrifice de Pessa’h ? Tu n’as pas le droit d’offrir des sacrifices, et la preuve en est que l’odeur du Jardin d’Eden émanait de celui qui t’a précédé, c’est lui le premier-né. A cela, Essav présente des excuses (verset 36) : « Est-ce parce qu’on l’a nommé Ya’akov qu’il m’a supplanté deux fois ? » c’est-à-dire : Ya’akov m’a pris le droit d’aînesse afin de prendre aussi les bénédictions, mais il a agi sournoisement. C’est une tromperie. Ici, Essav avoue à son père qu’il voulait lui cacher qu’il avait renoncé au droit d’aînesse. Ses accusations contre Ya’akov étaient mensongères puisque Ya’akov lui avait expliqué les devoirs du premier-né (Béréchith Rabah 63 :18). Essav s’était montré oublieux et ingrat, car Ya’akov lui avait sauvé la vie en lui donnant à manger lorsqu’il était fatigué et affamé, et il lui avait proposé de lui acheter le droit d’aînesse uniquement pour le mettre à l’épreuve et lui lancer un défi, afin de l’encourager à se surmonter.

« Quiconque nie les bienfaits qu’il reçoit, est comme quelqu’un qui nie D. » (Kohéleth Rabah 7 :4 ; Midrach Chmouel 23). Telle était la méchanceté d’Essav. Il a nié les bontés de Ya’akov envers lui, et il a aussi nié D. lorsqu’il a méprisé le droit d’aînesse, comme le remarque Rachi : « La Torah témoigne de sa méchanceté pour avoir dédaigné le service de D. ».

Yits’hak comprit et confirma les bénédictions : « Il restera béni » (verset 33). « Afin qu’on ne dise pas que si Ya’akov n’avait pas trompé son père, il ne les aurait pas reçues, Yits’hak l’a béni une seconde fois en connaissance de cause » (Béréchith Rabah 67 :2 ; Rachi ad. loc.), sachant qu’effectivement Ya’akov méritait le droit d’aînesse et les bénédictions divines.

Par la suite, Essav comprit que son père était dans un moment de grâce malgré sa colère envers lui, et il poussa de grands cris suppliants pour que son père le bénît, lui disant : « Ne possèdes-tu qu’une seule bénédiction, mon père ? » (verset 38). Après tout, il avait tout de même obéi à son père en allant à la chasse, et c’est uniquement parce qu’il n’avait rien trouvé qu’il avait apporté du gibier volé. C’est pourquoi son père l’a béni : « Tu vivras à la pointe de l’épée » (verset 40), c’est-à-dire : étant donné que tu désires continuer à voler, je vais te bénir pour que tu réussisses dans la voie que tu as choisie, de voler, d’assassiner, et d’effrayer les gens en brandissant l’épée, de telle sorte que la différence entre toi et Ya’akov ton frère sera évidente aux yeux de tous. Dorénavant, tu vas haïr ton frère de telle sorte qu’il saura se protéger contre tes attaques. Tu ne pourras plus exprimer extérieurement de l’amour et le haïr en secret...

Yits’hak appela Ya’akov et l’envoya à Padan Aram (ibid. 28 :1-2), afin que chacun de ses fils suive son propre chemin, afin de les séparer, ce qui aurait pour conséquence de partager les habitants du monde entre eux deux. Il est impossible que des gens aux tendances si contraires coexistent en paix. Nous constatons la même chose entre Avraham et Loth. Loth profitait de biens volés, c’est pourquoi Avraham se sépara de lui (ibid. 13 :9). Bien que la maison de Loth fût grande ouverte aux invités, hospitalité qu’il avait apprise d’Avraham (Béréchith Rabah 50 :4), cette générosité n’avait aucune valeur s’il nourrissait ses invités de viandes volées.

Il nous reste à comprendre pourquoi Yits’hak envoie Ya’akov à Padan Aram, car si son intention est réellement de l’extraire de l’emprise d’Essav et de l’influence de ses mauvaises actions, pourquoi l’envoie-t-il chez Laban, « le plus grand de tous les trompeurs » (Tan’houma Vayichla’h 1), dont la méchanceté surpasse celle d’Essav (Béréchith Rabah 75 :6) ? Que gagne-t-il à le sauver d’un danger ici, s’il l’envoie se mettre en danger ailleurs ?

Nous savons que Laban était pire qu’Essav. Lorsque Ya’akov s’enfuit, Laban le poursuivit avec tant d’empressement qu’il « parcourut une route de sept jours en une seule journée » (Béréchith Rabah 74 :6). D. apparut à Laban en rêve et lui dit (Béréchith 31 :24) : « Garde-toi de parler à Ya’akov, que ce soit en bien ou en mal ». Qu’est-ce à dire ? Les Sages expliquent (Yébamoth 103b) : « Tout ce que les hommes vertueux jugent bon est mauvais aux yeux des hommes méchants ». C’est dire que même les paroles favorables que Laban aurait exprimées pouvaient porter préjudice à Ya’akov et à ses descendants et avoir une mauvaise influence sur eux. Pourquoi ? Les paroles bienveillantes qu’un homme mal intentionné prononce devant un homme vertueux peuvent amener ce dernier à l’affectionner, ce qui, en fin de compte, lui causera préjudice. « Il est interdit de regarder le visage d’un homme méchant » (Méguilah 28a), même s’il se montre, apparemment, correct. C’est pourquoi D. met Laban en garde de ne pas causer de tort à Ya’akov.

Pourtant, lorsque Eliphaz poursuivit Ya’akov pour le tuer sur l’ordre de son père (Séfer HaYachar), il n’est pas dit que D. commanda à Eliphaz de ne pas tuer Ya’akov. De même, avant la rencontre entre Ya’akov et Essav, lorsque Ya’akov lui envoie de nombreuses offrandes... il n’est pas dit que D. ordonne à Essav de ne faire aucun mal à Ya’akov. C’est que personne n’était aussi nuisible que Laban l’Araméen « qui voulait tout détruire jusqu’aux fondements » (Zohar I, 164b, 167a). Lorsque Essav et Ya’akov se rencontrent, ils pleurent en s’embrassant comme il est écrit (Béréchith 33 :4) : « Essav courut à sa rencontre, l’embrassa... et ils pleurèrent » et Rabbi Chimon Bar Yo’haï remarque (Sifri Bamidbar 9 :10) : « A ce moment-là, Essav eut des élans d’amour sincères et l’a embrassé de tout cœur ». La question reste posée : Pourquoi Yits’hak exile-t-il Ya’akov à Padan Aram, chez Laban, dont la méchanceté est extrême ?

L’amour d’Yits’hak pour Essav n’était motivé que par le fait qu’il était un « homme des champs » - celui qui sort pour ramener les Juifs perdus, tandis que Ya’akov méditait les profondeurs de la Torah pour lui-même. C’est pour cette raison que Yits’hak avait une préférence pour Essav. A présent, comprenant qu’aucun de ses deux fils ne diffusait la Torah, il envoie Ya’akov à Padan Aram, au pays du Levant, là où son grand-père Avraham avait commencé à faire connaître aux foules le Nom de D.. Ya’akov avait passé assez de temps dans « les quatre coudées de la loi », maintenant il devait enseigner la Torah qu’il avait apprise, à l’exemple de son grand-père. Effectivement, Ya’akov obéit à son père et il entreprit d’enseigner la Torah partout où il allait.

A propos du verset « Et Ya’akov partit... » (Béréchith 28 :10), les Sages disent : « Lorsqu’un homme vertueux quitte un lieu, son départ laisse une vive impression. Tant qu’il habite la ville, il en fait la gloire, la lumière et la splendeur. Lorsqu’il part, la gloire, la lumière et la splendeur quittent la ville » (Béréchith Rabah 68 :6). Lorsque Ya’akov quitta la ville pour enseigner la Torah comme l’avait fait son grand-père, tous ressentirent son absence comme un grand vide.

A partir de ce moment-là, Ya’akov enseigna la Torah au peuple et institua des lieux d’étude, comme le disent les Sages (Béréchith Rabah 95 :3) à propos du verset « Il envoya Yéhouda » (Béréchith 46 :28) : « afin d’instituer des lieux d’étude de la Torah... ». Etant donné que la qualité essentielle de Ya’akov est la Splendeur (Zohar II, 302a), qualité qui représente le juste milieu entre la qualité de Bienveillance d’Avraham et la Puissance d’Yits’hak, les Sages demandent (Pirkey Avoth II :1) : « Quelle est la voie la meilleure, celle que l’homme doit adopter ? » Et ils répondent : « Celle qui lui procure sa propre estime et l’estime des autres ». Il s’agit de la qualité de Splendeur, celle qui caractérise Ya’akov, qui agit autant en faveur de lui-même qu’en faveur des autres.

Nous avons expliqué précédemment que le pouvoir de Ya’akov a commencé à se manifester lorsqu’il a acquis le droit d’aînesse. Un héritage important était attaché à ce droit, et Essav aurait pu tuer Ya’akov pour s’approprier cet héritage. Et pourtant, Ya’akov ne fut pas découragé, au contraire, il lutta contre Essav en transmettant à ses descendants la force de lutter et de vaincre le mauvais penchant.

Cela nous permet de comprendre les paroles du prophète (Malakhi 1 :2-3) : « Je vous ai aimés dit l’Eternel... J’ai aimé Ya’akov mais Essav, Je l’ai haï... » Quelle est la raison de cette haine ? Les portes du Repentir ne sont-elles pas toujours ouvertes (Midrach Téhilim 65 :4) même pour un pécheur comme Essav ? Et surtout, en quoi l’amour de D. envers Israël est-il spécial, au point que le prophète doive le souligner ?

Sur la base de ce que nous avons dit plus haut, la réponse est claire. Ya’akov voulait amener Essav à veiller sur sa part, en lui expliquant le privilège du droit d’aînesse, bien qu’il ait eu la possibilité de prendre le droit d’aînesse sans chercher à lui venir en aide. Mais il désirait voir son frère s’élever même plus haut que lui-même, s’il choisissait seulement de se repentir. C’est pourquoi Ya’akov est aimé de D., car s’il est capable de venir en aide à un homme aussi méchant qu’Essav, il est sûrement capable de répandre le bien.

Essav, lui, est haï de D.  Bien qu’il ait tué le tyran Nimrod (Béréchith Rabah 65 :12 ; Pirkey D’Rabbi Eliézer 24), ce que même Avraham n’avait pas réussi à faire, et lui avait dérobé les vêtements d’Adam, il n’avait pas compris ce que ces vêtements représentent. Essav se parait de ces vêtements pour tromper tout le monde. Il méprisa le droit d’aînesse, rejeta toutes les occasions de se repentir (que ce soit avec Ya’akov pour le droit d’aînesse, ou avec Yits’hak à l’occasion des bénédictions). Il méprisait aussi les pratiques et les lois des Enfants d’Israël. C’est la raison pour laquelle il est devenu haïssable aux yeux de D., lui et tous ses descendants. Par contre, l’amour de D. pour Ya’akov est sans mesure, à juste titre.

Malgré tout, « Essav n’était-il pas plus correct que Laban ? C’est justement parce qu’il possédait des capacités exceptionnelles qu’il est détestable aux yeux de D., car il s’était détourné de la vie spirituelle et n’aspirait qu’à une vie matérielle.

Yits’hak bénit Essav en lui souhaitant de vivre à la pointe de son épée, c’est-à-dire : vis comme tu l’entends, continue à voler, à piller, à tuer les gens pour t’emparer de leurs richesses. Mais sache que tu ne pourras pas bénéficier des mérites de Ya’akov ». C’est dans ce sens qu’il est dit : « Pour faire le mal, on a recours aux hommes méchants » (Chabath 32a ; Bamidbar Rabah 13 :17 ; Tana D’Bey Eliyahou Rabah 16), et ceux qui doivent être punis tomberont toujours entre les mains d’Essav. Ya’akov pourra ainsi avoir un peu de repos.

Il est interdit de vivre aux côtés d’Essav, car « personne ne peut vivre avec un serpent sous le même toit » (Yébamoth 112b ; Ketouboth 72a), et donc Ya’akov quitta Béer Cheva pour se rendre à Padan Aram. Il s’appuyait sur le pouvoir de la Torah, il avait confiance en sa protection car « la Torah protège et sauve » (Soucah 21a). Nous apprenons là comment échapper aux pièges des mauvaises tendances et de la méchanceté, et s’élever par étapes dans la voie de la sanctification.

C’est une leçon pour chaque Juif, et pour tous les temps. Il est possible de surmonter le mauvais penchant, de se purifier et de se sanctifier.

 

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