La grandeur de la vertu de gratitude

L’Eternel dit à Moïse: «Parle ainsi à Aharon, prends ta verge et étends ta main sur les eaux des Egyptiens» (Exode 7:19). Pourquoi est-ce Aharon qui s’en est chargé? Parce que, répondent nos Sages (Chémoth Rabah 9:9), le fleuve a protégé Moïse quand il s’y trouvait. Est-il convenable de jeter une pierre dans un puits où l’on a bu de l’eau? (Bava Kama 92b).

Dans un de ses livres, Rabbi Nathan Tsvi Finkel de Slabodka écrit que c’est ainsi que se conduisaient nos Sages, tout au long des générations. Il cite par exemple le cas du Rif qui s’opposait à la vente d’un bain public dont il s’était servi (Chitah Mekoubetseth, ad. loc.)... Ce sont les Sages qui ont enseigné cette vision des choses, comme on le voit dans le Midrach Tan’houma: «Pourquoi l’eau et le sable ont-ils été frappés par Aharon? Rabbi Tan’houm répond: «Le Saint, béni soit-Il, dit à Moïse: «Il n’est pas convenable que tu frappes les eaux qui t’ont préservé lorsqu’on t’a jeté dans le fleuve ni le sable qui t’a protégé lorsque tu as tué l’Egyptien» (Tan’houma, Vaéra 14).

Un autre Midrach (Chémoth Rabah 20a) rapporte que c’est Moïse lui-même qui a évité de le faire. «D’où les Egyptiens tirent-ils l’eau qu’ils boivent?» lui demanda le Saint, béni soit-Il. «Du Nil» répondit Moïse. «Transforme-la en sang», lui ordonna-t-Il. «Je ne puis le faire, répondit Moïse, celui qui a bu de l’eau d’un puits peut-il y jeter une pierre?»

La transformation du fleuve en sang et celle du sable en poux, qui tenaient du miracle, ont certes contribué à montrer la grandeur de l’Eternel, et à inciter par là les enfants d’Israël à croire en Lui, mais elles ont également contribué à renforcer en Moïse la vertu de reconnaissance... C’est ainsi, rapportent nos Sages (Chémoth Rabah 4:2), que lorsque l’Eternel dit à Moïse: «Maintenant va, Je t’enverrai auprès de Pharaon» (Exode 3:10), Moïse Lui dit: «Maître de l’Univers, je ne puis le faire, parce que Yithro m’a ouvert toutes grandes ses portes. Il m’a considéré comme son fils. Je ne peux pas faire preuve d’ingratitude.» «Etranges propos, poursuit Rabbi Nathan Tsvi dans son ouvrage: comment Moïse, de qui dépendaient la Rédemption des enfants d’Israël, leur libération de l’asservissement d’Egypte, le don de la Torah, l’entrée d’Israël en Terre Sainte, l’édification du Saint Temple, refuse-t-il la mission divine pour ne pas faire preuve d’ingratitude?»

C’est que, nous l’avons vu, celui qui se montre ingrat vis-à-vis de celui qui lui a fait du bien, finit par renier l’existence même de Dieu. C’est ce que craignait Moïse. Qu’aurait valu sa mission, s’il n’avait manifesté sa reconnaissance à l’égard de Yithro qui non seulement lui ouvrit sa maison mais lui donna sa fille en mariage? C’est la raison pour laquelle il n’a pas cédé. De plus, en tant que dirigeant, l’exemple de reconnaissance qu’il aurait donné aurait été plus que douteux.

Peut-on en dire autant de Jacob? Arrivé chez Lavan sans aucune ressource, car Eliphaz, le fils d’Esaü, l’avait totalement dépouillé, (cf. Séfer Hayachar, Vayétsé), il logea chez lui de nombreuses années et épousa ses deux filles... Puis soudain, «il s’enfuit, lui et tout ce qui lui appartenait» (Genèse 31:21). Jacob ne s’est-il pas rappelé qu’en dépit de sa grande méchanceté, son beau-père lui avait ouvert toutes grandes les portes de sa maison (Béréchith Rabah 70:6) et l’avait même sauvé d’Esaü. Pourquoi alors ne lui a-t-il pas manifesté sa reconnaissance?

C’est que, si on y regarde de plus près, notre patriarche ne devait absolument rien à Lavan. Car Lavan ne pensait qu’à lui. Pourquoi par exemple, l’étreignit-il et l’embrassa-t-il? (Genèse 29:13). Parce que, selon nos Sages, il croyait que Jacob avait apporté avec lui de l’argent, de l’or, et des pierres précieuses, qu’il gardait dans ses poches ou dans sa bouche (Béréchith Rabah 70:13). Mais quand il ne trouva rien, il lui dit (Genèse 29:15) «Est-ce parce que tu es mon parent, que tu me servirais gratuitement?» Je ne t’accueillerai pas chez moi plus d’un mois. Le Yalkout Méam Lo’ëz rapporte (ad. loc.) qu’au cours de son séjour chez lui, Lavan jetait à Jacob des os, comme on en jette à un chien, et qu’il devait malgré tout garder le troupeau de Lavan.

Lavan n’a donc rendu aucun service à Jacob: il voulait au contraire l’exploiter et le dépouiller au maximum. Il pensait même le tuer, comme il est écrit: «l’Araméen voulait perdre mon père» (Deutéronome 26:5). Et même s’il n’y réussit pas, «chez les nations, la mauvaise pensée est considérée comme action» (Kidouchine 40a). Tout prouve par conséquent que Lavan ne cherchait qu’à faire du mal.

Commentant l’enseignement de nos Sages: «Ne jette pas une pierre dans le puits où tu as bu», Rabbi Elyahou Desler écrit dans son ouvrage Mikhtav MéElyahou (p. 100-101): «Comment le puits, qui est inanimé, peut-il ressentir l’ingratitude qu’on manifeste à son égard? On peut se poser la même question à propos du sable qui avait protégé Moïse. Il faudrait en outre comprendre ceci: les coups assénés au fleuve et au sable les transforment en outils destinés à sanctifier le Nom de Dieu. Comment peut-on parler d’humiliation?» (cf. Messilath Yécharim, chap 1, fin), conclut Rabbi Elyahou Desler.

C’est que dans toute la Création, le minéral et le végétal proclament quotidiennement que c’est le Saint, béni soit-Il, qui les a créés dans un but déterminé, soit pour que les hommes en profitent, soit tout simplement pour la gloire de Dieu. Celui qui en tire jouissance, doit alors remercier le Ciel qui les a créés. C’est ce que fait toute la Création car, l’enseigne le Talmud (Sanhédrine 37a): «Tout a été créé pour l’homme...» Ainsi, leur utilisation pour un miracle amène la sanctification du Nom de Dieu dans le monde, mais quand l’homme traite avec mépris ce qui le satisfait, il en exprime ainsi l’inutilité. Il finit par montrer de l’ingratitude non à l’objet mais à son Créateur (cf. Koheleth Rabah 7:4; Mekhilta, Chémoth 20). A plus forte raison l’homme doit-il montrer sa reconnaissance à son prochain qui éprouve de la peine s’il est humilié et est plein de gratitude lorsqu’on le satisfait. S’il s’habitue à ne pas mépriser la création de Dieu, il respectera l’homme qui est fait à Son image, et finira par dénigrer les bienfaits de l’Eternel Lui-même.

Car, à y regarder de près, on voit que le Créateur est la cause de toutes les causes. Quand l’homme a besoin de quelque chose, Il le lui envoie indirectement par quelqu’un, et s’il ne manifeste pas sa reconnaissance à son égard, c’est comme s’il faisait preuve d’ingratitude vis-à-vis de Dieu... Il convient par conséquent de graver dans son cœur la vertu de gratitude.

 

 

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