Sanctifie-toi de ce qui t’est permis

Commentant les versets «Moïse descendit de la montagne vers le peuple; il sanctifia le peuple, et ils lavèrent leurs vêtements. Et il dit au peuple: «Soyez prêts dans trois jours, ne vous approchez pas de votre femme» (Exode 19:14-15). Rachi, citant le Talmud (Chabath 87a) explique que Moïse décida d’ajouter un quatrième jour.

«Creusez-vous des sillons, et ne semez pas parmi les épines» (Jérémie 4:3): les préparatifs en vue de l’accomplissement d’une mitsvah sont plus grands que la mitsvah elle-même. Tout comme on doit défricher le terrain et veiller à ce que les graines ne se mélangent pas aux épines et aux détritus mais soient bien semées dans les sillons, on doit se repentir sérieusement et se préparer bien avant de s’engager dans l’étude de la Torah et l’accomplissement de mitsvoth. Que devaient alors faire les enfants d’Israël pour se préparer à recevoir les six cent-treize préceptes de la Torah du Saint, béni soit-Il. Déjà à Marah, enseigne le Talmud (Sanhédrine 56b; Mekhilta, Béchala’h 15:25), Dieu avait prescrit aux enfants d’Israël un certain nombre de mitsvoth pour les préparer au don de la Torah. Nous nous proposons ici d’analyser ces préparatifs qui ne reviendront plus jamais dans les annales de l’histoire de l’homme.

Auparavant, posons-nous un certain nombre de questions ayant trait au don de la Torah:

1) Pourquoi la Torah ne mentionne-t-elle pas spécifiquement la date du don de la Torah, et se contente-t-elle de parler du troisième jour au matin? (Exode 19:16).

2) Comme on le sait, les enfants d’Israël étaient déjà purs et saints à leur sortie d’Egypte. Pourquoi alors leur fixe-t-on de nouveau des limites? Pourquoi Dieu leur interdit-Il de cohabiter avec leurs femmes? Le précepte de «fructifier, se multiplier, et remplir la terre et la dominer» (Genèse 1:28) ne prime-t-il pas? Pourquoi interdire formellement, avant le don de la Torah, cette mitsvah si elle est accomplie dans la pureté et la sainteté?

3) Pourquoi, comme demande le Maguen Avraham (Choul’han Aroukh, Ora’h ‘Haïm 494, début), à Chavou’oth dit-on «jour où nous a été donnée la Torah»? En effet, comme l’explique Rabbi Yossi, la Torah a été donnée le 7 du mois, le cinquante et unième jour de la supputation du ’Omer, car, on l’a vu plus haut, Moïse avait ajouté un jour de son propre avis (en vérité, souligne le Maguen Avraham, la Torah a été donnée le 6 Sivan, qui est la date à laquelle nous fêtons Chavou’oth).

4) Comme nous l’avons vu aussi, commentant le verset: «Tu parleras ainsi à la Maison de Jacob, et du diras vétagued aux enfants d’Israël» (Exode 19:3), les Sages (Rachi, Mekhilta, Chabath 87a) expliquent que «la Maison de Jacob», ce sont les femmes à l’égard desquelles il faut utiliser un langage tendre, doux, et «les enfants d’Israël», ce sont les hommes, à l’égard desquels il faut utiliser un langage dur. Comment, dans ces circonstances, peut-on comprendre le verset: «vayagued Moïse rapporta les paroles du peuple à l’Eternel» (Exode 19:9). Peut-on concevoir qu’il utilisa un langage dur à l’égard de l’Eternel, à Dieu ne plaise?

5) Concluant son enseignement sur cette interprétation du Midrach du verset mentionné ci-dessus, l’auteur de Isma’h Israël du Admour d’Alexander cite le commentaire de Rachi, à propos du verset: «Voilà les paroles que tu diras aux enfants d’Israël» (id. 19:6): «Ni plus, ni moins» et se demande où on voit la moindre allusion aux paroles tendres et dures: Moïse n’ajoutera ni ne retranchera assurément rien aux paroles de l’Eternel?

C’est que même le plus grand Sage est susceptible de se tromper, et de fauter involontairement ou intentionnellement. Pour expier sa faute, il devra endurer des atroces souffrances, ou même mourir, à Dieu ne plaise. Car, comme l’enseigne le Talmud (Chabath 55a; Vayikra Rabah 37:1; Zohar I, 57b), Rabbi Ami dit: «la mort et les souffrances ne peuvent être engendrées que par le péché (voir à ce propos le point de vue de notre grand père vénéré, Rabbi Yéchayahou Pinto, zal dans son ouvrage Ha Rif; Commentaire sur le Ein Ya’akov, Chabath 55a).

Dieu ordonna aux enfants d’Israël la mitsvah de hagbalah: se purifier pendant trois jours, se donner une limite et leur demanda de se conformer absolument à sa volonté, de ne rien ajouter ni retrancher à Ses commandements. Car le mauvais penchant, qui livre constamment bataille à l’homme, le séduit plus particulièrement dans le domaine des choses qui sont permises. C’est pourquoi nos Sages nous ont préconisé de nous sanctifier par ce qui est permis (Yébamoth 20a; Sifré, Rééh 14:21). C’est précisément dans ce qui est permis, qu’il convient d’introduire la sainteté et une limite, car c’est dans ce domaine que le mauvais penchant s’efforce le plus d’écarter l’homme de la bonne voie. S’il demande directement à l’homme de commettre un péché, il refusera indubitablement. Il se présente alors comme invité au début, puis comme maître de la maison (Soucah 52b; Béréchith Rabah 22:11; Zohar III, 267b). Il séduit l’homme graduellement, et si ses débuts sont doux, sa fin est amère (Yérouchalmi, Chabath 14:3). Il lui dit de faire ceci aujourd’hui, cela demain, et finit par lui dire d’adorer des idoles (Chabath 105a; Avoth deRabbi Nathan 3:2).

Rabbi Moché Feinstein écrit à cet effet dans un de ses livres, que c’est précisément dans ce qui est permis à l’homme dans la Torah, qu’il faut faire des barrières et interdire de la façon la plus formelle: en d’autre termes, si on ne veille pas particulièrement à ce qui est permis, on est susceptible d’en arriver à ce qui est interdit.

La mitsvah de réconciliation entre un mari et sa femme, par exemple, est d’une importance telle que le Talmud (cf. Sanhédrine 92a; cf. Guitine 90a; Chémoth Rabah 31:9; Yalkout Mé’am Lo’ez, Vayétsé) enseigne que celui qui établit la paix, agit comme s’il construisait le Temple. Il convient néanmoins de veiller à l’accomplir comme il sied. Si une tierce personne propose de rétablir la paix entre le couple, et fixe du regard, ne serait-ce que le petit doigt de la femme, cette personne transgresse une interdiction et a tout perdu (cf. Bérakhoth 24a). D’autres se proposent de le faire pour des intérêts personnels: ils peuvent par exemple convoiter la fortune de leur prochain, s’ils en entendent parler au cours de la tentative de réconciliation.

L’homme étant susceptible de s’affaiblir et trébucher dans les grandes mitsvoth précisément, la Torah préconise aux enfants d’Israël de ne pas proclamer tout de suite: «Nous ferons, puis nous entendrons.» Il faut d’abord une préparation. Le mauvais penchant est tellement puissant! Il leur fallait avant tout se limiter, savoir jusqu’où on peut aller, de quoi il faut s’éloigner pour ne pas être dans l’obligation de subir des épreuves... Ce n’est qu’après qu’ils devaient recevoir la Torah...

Revenons à ce concept de rétablissement de la paix dans le couple. Nous connaissons personnellement un Talmid ‘Hakham dont le foyer était alors le théâtre de disputes continuelles. Sa belle-sœur intervint alors pour essayer de le réconcilier avec son épouse. Le Satan réussit cependant dans son œuvre, et ils péchèrent, semant la destruction totale dans leurs foyers respectifs. C’est ce qu’ont enseigné nos Sages: «Si l’homme et la femme ne sont pas méritants, le feu les dévore» (Sotah 17a).

Nous avons également entendu parler d’un homme qui a essayé de rétablir la paix entre deux associés. Il convoita leur richesse et exigea de s’associer à leurs affaires. Etant gênés, ils ne purent le lui refuser et durent accepter ses conditions...

La mitsvah de «fructifier et se multiplier» est certes primordiale, mais du fait que d’après le Talmud (Nidah 13a), les femmes sont, dans le domaine intime, moins sensibles et moins tentées de pécher que les hommes, le verset utilise à leur égard des paroles tendres. Les hommes, en revanche sont très sensibles (id.): un simple regard peut les conduire au péché (ou du moins à une mitsvah qui n’est pas faite pour le seul nom de Dieu), et c’est pourquoi l’Eternel s’adresse durement à eux... Car le mauvais penchant n’est pas moins dur qu’eux: ils doivent donc s’écarter au maximum de lui... Sans la Torah, l’homme est susceptible de pécher dangereusement dans le domaine de la cohabitation conjugale... Les enfants d’Israël durent par conséquent s’abstenir de relations avec leurs femmes jusqu’à la Réception de la Torah... Conscients alors de la valeur de la mitsvah de la procréation, ils l’accompliraient dans la pureté et la sainteté, et de leur union naîtraient des âmes pures et saintes.

Dans l’accomplissement de toute mitsvah, l’homme doit fixer une frontière entre la Torah et lui; il doit savoir jusqu’où il peut aller, quand s’arrêter. Cette pause lui sera par ailleurs comptée comme mitsvah, quand il voit par exemple que le mauvais penchant lui livre une bataille acharnée... Dans ces conditions, il vaut mieux, selon les termes du Talmud (’Irouvine 100a), «s’asseoir (être passif) et ne rien faire.»

L’Eternel prescrit à Moïse: «Tu fixeras au peuple des limites à l’entour, et du diras: «Gardez-vous de monter sur la montagne ou d’en toucher le bord» (Exode 19:12). Que l’homme ne se dise pas: «Puisque la Gloire de Dieu réside sur la montagne, je peux la toucher.» Il doit savoir qu’il est interdit de trop se rapprocher de la sainteté, si on n’a pas accédé au niveau de Moïse, d’Aharon, et des anciens d’Israël; il convient de s’éloigner quelque peu de la montagne, de savoir jusqu’où aller dans l’accomplissement de la mitsvah.

Si les enfants d’Israël se rapprochent trop de la montagne, «un grand nombre d’entre eux peuvent périr» (id. 19:21). On ne peut s’en rapprocher sans risque de périr, qu’au prix d’efforts spirituels considérables. «Quand la trompette sonnera, ils s’avanceront près de la montagne» (id. 19:13). Ce n’est qu’alors qu’on peut accomplir la mitsvah dans la perfection, sans être la proie du mauvais penchant. Le Talmud (Kéthouvoth 17a) cite à cet effet le cas de Rav A’ha qui portait la jeune mariée sur ses épaules et dansait avec elle. «Pouvons-nous en faire de même?» lui demandèrent ses élèves. «Oui, si vous ne la considérez pas plus qu’une poutre, leur répondit-il, mais si vous n’avez pas accédé à ce niveau, abstenez-vous en.»

Même dans le domaine qui touche la paix dans un couple, il convient de faire preuve d’une prudence extrême. Une mauvaise démarche, une mauvaise pensée, et la mitsvah perd toute sa valeur. Car si on escalade la montagne du Sinaï (de la Torah), on est susceptible de heurter de plein front le mauvais penchant (comparé à une montagne).

Ainsi, après que Moïse eut compris la raison pour laquelle il faut limiter l’activité du peuple, il décida de son propre chef d’ajouter un jour. Après avoir vu comment les enfants d’Israël repensent et réfléchissent sérieusement au paroles dures qu’il leur avait adressées, «il rapporta les paroles du peuple à l’Eternel.» Il Lui rapporta qu’ils étaient prêts (pas par élan, par folie, ou par obligation) à s’imprégner les membres et les tendons (guidine), des deux cent quarante-huit préceptes correspondant à na’asséh, et des trois cent soixante-cinq préceptes correspondant à nichma’ (Moïse n’a donc pas naturellement, à Dieu ne plaise, parlé à l’Eternel d’un ton dur vayagued).

Dieu a commandé à Moïse d’utiliser un langage dur à l’égard des enfants d’Israël pour qu’ils entendent bien ce qui leur incombe de faire, et de l’exécuter sans délai. Contrairement aux nations qui ont entendu parler du don de la Torah (Zéva’him 116a), et ne sont pas venues s’abriter au seuil de la Maison de Dieu, ils ont proclamé: «Nous ferons, puis nous comprendrons.» Tout cela provient des trois jours de délimitation qu’imposa l’Eternel aux enfants d’Israël (cf. Chabath 87b). Si on revient donc aux propos de l’auteur de Isma’h Israël (voir p. 352), il ne s’agit pas de paroles dures, mais de faire bien pénétrer ces paroles dans les oreilles des enfants d’Israël.

Quant au jour exact de Matan Torah, le verset n’y fait qu’une simple allusion (le troisième jour au matin) parce que la Torah ne s’acquiert que par des préparatifs extrêmement sérieux.

Commentant le verset «Faites ceci pour eux, afin qu’ils vivent et ne meurent point, quand ils s’approcheront du Saint des saints... Ils n’entreront point pour voir envelopper les choses saintes, de peur qu’ils ne meurent» (Nombres 4:20), le Talmud (Yérouchalmi, Méguilah 3:5), fait remarquer qu’on commence et achève généralement la lecture des passages de Torah par une bonne chose (voir aussi Choul’han Aroukh, Rama, Ora’h ‘Haïm 138:1; et Rambam, Hilkhoth Téfilah 13:5). Pourquoi la section hebdomadaire Bamidbar fait-elle exception à la règle, et s’achève par la mort?

C’est qu’en vérité ce verset ne comprend rien de négatif: la Torah recommande à celui qui veut s’approcher du lieu très saint de l’Eternel, de bien se préparer: vézoth ‘assou se rapporte à la Torah qui porte le nom de zoth (Avodah Zarah 2b; Deutéronome 4:44). La Torah le fera alors vivre, et il s’attachera à Dieu. «Quand la trompette sonnera, ils s’avanceront vers la montagne» (Exode 19:13). En d’autres termes, quand les enfants d’Israël auront sanctifié et purifié leur corps et leur âme, par la Torah qu’ils auront reçue, ils pourront s’élever et réussiront à ne pas se laisser séduire par le Satan qui porte le nom de «mort»: ils vivront et ne mourront point.» Car ce n’est que grâce à la Torah qu’on peut vivre, comme il est écrit: «L’homme qui mettra les lois divines en pratique, vivra par elles» (Lévitique 18:5). Commentant en outre le verset «Lorsqu’un homme mourra dans une tente» (Nombres 19:14), le Talmud (Bérakhoth 63b; Chabath 83b) explique que la Torah ne subsiste que chez celui qui meurt pour elle, c’est-à-dire que seul celui qui se dépouille de toute entité physique a la force de se lier à l’Eternel et à Sa Torah.

Mais celui qui ne prête pas attention à la parole du Dieu vivant, qui ne tient qu’à ses principes, ne jouira que de la kélipah, et toute trace de sainteté se détachera de lui. Si, comme nous l’avons vu, Elicha’, fils d’Avouya, qui était disciple de Rabbi Méir, finit par se pervertir; si Yo’hanan, le Grand Prêtre qui prononçait le Nom ineffable, devint Saducéen après quatre-vingts ans de sacerdoce, c’est qu’ils n’avaient pas fait assez de préparatifs pour se rapprocher de la sainteté. Contrairement à Rabbi Akiva qui avait fait les préparatifs nécessaires, ils moururent spirituellement, car les méchants sont appelés morts de leur vivant (Bérakhoth 18b). «L’Eternel donne ’oz (la force) à son peuple...»: grâce à la HaKhaNaH (préparation), [qui (avec les 4 lettres du mot) a la même valeur numérique que ’oz (plus 1=84)] l’homme se sanctifie dans ce qui lui est permis et se prépare à la Torah... «L’Eternel bénit Son peuple par la paix» (Psaumes 29:11), comme Rabbi Akiba qui sortit du Pardès en paix.

 

 La protection divine individuelle, fondement de la Torah et de la foi
TABLE DE MATIERE
On ne fait emprunter à l’homme que le chemin qu’il veut suivre

 

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