La force de l’habitude dans l’accomplissement des mitsvoth

Notre parachah traite entre autres choses du tirage au sort entre les deux boucs : « Aaron tirera au sort pour les deux boucs, un lot sera pour l’Eternel et un lot pour Azazel » (Lévitique 16, 8). Comment s’y prend-on ? On les place l’un à droite et l’autre à gauche, on prend en main deux insignes tirés au sort, à droite et à gauche, et on met sur l’un celui qui désigne Dieu et sur l’autre celui qui désigne Azazel (voir Yoma 37a, 39a, qui explique le processus en détail).

Ce tirage au sort est difficile à comprendre. Pourquoi Dieu a-t-Il ordonné que le cohen procède ainsi, plutôt que de décider lui-même quel bouc il va prendre pour l’Eternel ou pour Azazel, la providence l’aidant à faire le bon choix ? En quoi un tirage au sort est-il nécessaire ?

Nous essaierons également de comprendre pourquoi la Torah a ordonné de prendre deux boucs, et non des béliers, des tourterelles ou tout autre chose.

Il y a une difficulté supplémentaire : d’après les Sages, avant que le bouc à Azazel ait atteint la moitié de la montagne, il était déjà écrasé et disloqué. On peut se demander pourquoi il est nécessaire de le jeter du sommet de la montagne, plutôt que de l’égorger, de l’étouffer ou de le mettre à mort par le glaive, la lapidation ou le feu. Que signifie le geste de le précipiter de la montagne ?

A mon humble avis, il faut comprendre tout ce passage comme une allusion. Par ce tirage au sort, Dieu indique aux benei Israël la grandeur des mitsvoth, car leur accomplissement comporte deux éléments, ainsi d’ailleurs que la réalisation d’une faute. Le premier est la routine que comporte la mitsvah ou la faute. Quand quelqu’un a l’habitude de ne faire que des mitsvoth, la faute ne se présente pas à lui, car une mitsvah entraîne une mitsvah (Avoth 4, 2, Avoth Derabbi Nathan 25, 4), sans compter que « Grande est la mitsvah, qui fait hériter ceux qui l’accomplissent de ce monde et du monde à venir » (Midrach Gadol ch. 6). Cette grandeur concerne même un acte dont l’intention n’avait rien de spécialement pur (Nazir 23b, Horayoth 10b). Par ailleurs, l’habitude peut également provoquer une faute, laquelle en entraînera d’autres (Avoth 4, 2). C’est pourquoi Dieu a ordonné de tirer au sort (GoRaL), car ce sont les mêmes lettres que heRGueL (« habitude »). Cela vient enseigner aux benei Israël de s’habituer à faire des mitsvoth, et cette habitude les aidera à toujours placer leurs prières et leurs mitsvoth devant Dieu, afin qu’elles soient toujours comme un sacrifice agréable. C’est ce qu’exprime le tirage au sort. Le deuxième élément, c’est l’intention spécifique qu’on met dans l’accomplissement des mitsvoth (ou des fautes), le désir de faire la volonté du Créateur.

Cependant si l’on commet des fautes au point d’en prendre l’habitude, on tombe dans le domaine du mauvais penchant, qui comme on le sait s’appelle « montagne » (Soukah 52a). On peut alors s’attendre à une fin amère, car lorsque le Satan fait trébucher l’homme, il sera puni comme ce bouc qu’on envoie dans la montagne (laquelle évoque le mauvais penchant) pour y être déchiqueté et démembré. Voilà donc l’allusion contenue dans le choix de deux boucs, celui de la montagne, et son démembrement.

On comprend alors pourquoi il faut des boucs plutôt qu’une autre espèce, car ils sont de la même famille que la chèvre, EZ, mot qui évoque l’insolent (AZ). L’arrogance peut facilement mener au péché (« L’insolent (AZ panim) va au Guéhénom » (Avoth 5, 20)), or l’habitude de commettre des fautes lui vaudra d’être déchiqueté comme ce bouc qui va vers Azazel et qui est un sacrifice expiatoire, allusion à la faute.

A l’inverse, quelqu’un qui prend l’habitude de faire des mitsvoth et des bonnes actions réussira dans tout ce qu’il entreprendra, sera « audacieux (AZ) comme le tigre pour faire la volonté de son père des Cieux » (Avoth 5, 20), et finira par atteindre la sainteté et devenir digne d’être sacrifié sur l’autel pour expier les fautes des benei Israël. C’est le deuxième bouc, qui a été tiré au sort pour l’Eternel, et qu’on sacrifie en expiation pour les benei Israël.

Nous comprenons maintenant pourquoi il faut un tirage au sort, pourquoi il s’agit de boucs, et la raison de tout ce qu’on fait à ces deux boucs, qui représentent les justes et les pécheurs : c’est une façon de nous inciter à ressembler à un sacrifice devant l’Eternel plutôt qu’à un sacrifice expiatoire à mettre en pièces, et à investir toute notre audace (OZ) dans la sainteté.

Or l’homme possède la force nécessaire pour sortir du domaine du mauvais penchant (le mont d’Azazel) pour rentrer dans celui du bon penchant (le sacrifice pour l’Eternel), ce qu’on comprendra mieux après une courte introduction.

Le Ram’hal écrit que lorsque l’homme pèche, le mauvais penchant s’empare de lui, et il n’a plus ni l’envie ni la force d’en sortir. Même par le repentir, il lui est difficile de se libérer de cette emprise, comme celui qui se trouve en prison et ne peut ouvrir la porte lui-même. Pour briser ces entraves et le libérer, le seul moyen est de lui faire des remontrances.

Expliquons de quoi il s’agit. Il y a effectivement une grande mitsvah de réprimander le prochain (cf. Lévitique 19, 17), mais on conçoit mal le rapport entre elle et le fait de détacher quelqu’un de l’emprise du mauvais penchant.

Le Ram’hal veut dire par là que lorsque personne ne reproche à l’homme les fautes qu’il a commises, et que personne ne le secoue, il n’a aucune chance de se libérer seul de l’emprise du mauvais penchant. C’est pourquoi il précise : « par les remontrances », ce qui signifie que l’homme doit se faire des reproches, envisager de revenir à Dieu, et ainsi son cœur incirconcis se brisera et il se libérera petit à petit du pouvoir du mal.

Il est écrit « Tu feras certainement des remontrances à ton prochain ». Si tu es prisonnier du mauvais penchant et qu’il n’y a personne pour te faire des reproches, c’est le mauvais penchant qui devient ton prochain. Cela signifie que tu dois te faire des remontrances à toi-même, ainsi tu en feras également à ton prochain, qui n’est autre que le mauvais penchant, jusqu’à ce que tu le domines et que tu te libères de son emprise. Nous savons en effet que pour tromper l’homme, il se présente à lui avec amour et tendresse comme un invité. Voici comment les Sages décrivent ce processus (Soukah 52b, Béréchith Rabah 22, 11) : Le mauvais penchant est au début un passant, puis un invité, et enfin il devient le maître de la maison. Cela veut dire qu’au début il parle un langage mielleux, comme un ami préoccupé du bien de son ami, alors que « dans l’intérieur du cœur il lui tend un piège » (Jérémie 9, 7), tout en se moquant intérieurement de ceux qui tombent en son pouvoir, car il ne souhaite leur bien qu’apparemment. Voilà pourquoi l’homme doit se faire des remontrances à lui-même : cela lui permettra de sortir du domaine de cet insolent, de cette haute montagne, pour arriver dans celui du bon penchant et devenir semblable à un sacrifice devant Dieu, digne d’expier pour les autres par la sainteté de ses actes.

 

Le dévouement de Nadav et Avihou s’est répercuté sur toutes les générations
Table de matière
Le bouc pour Azazel est une façon de faire taire nos accusateurs

 

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